L’appel à une culture des transitions
est un appel pour une nouvelle culture

Culture, au sens de ce qui nous lie et permet aux sociétés humaines de faire corps : un substrat commun qui nous permet de penser, d’agir, d’interagir. Ainsi la culture que l’on partage définit nos manières de vivre (au sens d’être au monde) aujourd’hui mais surtout, elle influence la direction que nous prenons pour demain.
Alors face à la « catastrophe à la fois actuelle et en devenir » selon les mots de Magali Reghezza, géographe et spécialiste des risques naturels, de la vulnérabilité urbaine et des stratégies de gestion, il nous faut bien une nouvelle culture. Qui permette de dévier du chemin emprunté jusqu’ici ; qui crée les conditions d’une véritable bascule – celle de nos manières d’être au monde.
© Corentin Garrido
Comment fait-on émerger une nouvelle culture ?
La culture est faite de récits. Ces derniers sont partout – portés par des discours politiques, des théories économiques, des œuvres d’art, des lois… Omniprésents, multiformes, les récits constituent les socles culturels des sociétés humaines. Ce sont les histoires que les humains se racontent pour faire sens du monde.
Aujourd’hui nous devons faire sens du monde autrement, si nous voulons enrayer la destruction des conditions d’habitabilité de la Terre et des liens sociaux et de solidarité. Et donc nous raconter de nouvelles histoires ; faire émerger de nouveaux récits, incarnés par une multitude d’acteurs, à toutes les échelles. Il ne s’agit pas de renverser le récit dominant en le remplaçant par un autre récit unique et englobant, mais bien de faire converger tous les fragments de nouveaux récits pour rompre son hégémonie et construire un nouveau rapport au monde.

© Mangeshig Pawis-Steckley
« Si l’ambition reste toujours la grande échelle,
il convient désormais de partir de la petite »
Sophie Ricard, Architecte et urbaniste, co-directrice de La Preuve par 7
Qu’est-ce que la bonne échelle lorsqu’il s’agit de transformer
la société toute entière ?
C’est celle où l’on peut identifier des problématiques concrètes et y proposer des solutions ajustées ; celle où l’on peut expérimenter une réalité ; celle où l’on peut construire des collectifs solides et solidaires et se donner du pouvoir d’agir : l’échelle des territoires. La pertinence de cette échelle ne tient pas seulement à la taille de l’espace qu’elle délimite. La notion de territoire revêt une forte dimension symbolique, culturelle et affective : au-delà d’un espace, il est un espace approprié par ses habitants. Un espace au sein duquel peuvent émerger, dans les interstices d’un « imaginaire aménageur » encore dominant, de nouvelles manières d’aménager, d’habiter, de se rencontrer, de créer du lien humain et inter-espèces.
C’est ce que proposent les initiatives rassemblées dans La cartographie des récits.
Elles le font par un levier bien spécifique : celui de l’art et de la culture. Ce sont des projets, des collectifs, des propositions ou des œuvres qui, à leur échelle, posent les briques d’une culture des transitions.
En sensibilisant et reconnectant l’humain à son environnement ; en renouvelant l’imaginaire d’un territoire ; en transformant durablement des espaces de vie.
« L’art peut catalyser
une véritable révolution culturelle et politique »
Yamina Saheb, docteure en ingénierie énergétique, spécialisée dans les politiques énergétiques.
Car l’art est porteur de récits. Il peut contribuer à nourrir les représentations propres au récit dominant, ou être porteur de récits alternatifs nourrissant la bascule. Ces initiatives portent toutes en elle des fragments de nouveau récit. Qui se rejoignent, se croisent, se ressemblent parfois.
Activer la coopération intergénérationnelle, construire un patrimoine interespèces, décloisonner les espaces de vie et de création, faire émerger des communautés de liens, accepter la vulnérabilité, rendre l’urbanisme culturel, doter les écosystèmes d’une voix, valoriser les attachements, faire converger nature et culture… Autant d’ingrédients qui créent les conditions d’adhésion, de confiance et de changement nécessaires à la transformation écologique des territoires.
Cette cartographie est donc un appel, un plaidoyer mais c’est aussi un outil. À destination de celles et ceux qui jouent un rôle clé dans les décisions qui concernent les territoires et leur évolution. Nous souhaitons qu’elle catalyse une prise en main, par les élus et les agents, partout, du levier culturel et artistique pour faire émerger ces récits (et d’autres) et engager leur territoire sur le chemin de la transformation écologique.
Alors, ces initiatives, explorons-les. Découvrons-les. Diffusons-les. Afin qu’elles puissent être sources d’inspiration et de mise en action. Afin qu’elles démontrent le potentiel d’une approche artistique et culturelle de la transition. Et enfin, emparons-nous en, avec l’ambition de planter sur nos territoires, les graines de la bascule espérée.
Le regard de Raphaël Besson :
Refaire de la politique tout court
« Une culture des transitions c’est l’hypothèse selon laquelle les transitions, sont moins une affaire technique, académique ou réglementaire, qu’une affaire culturelle. Nous ne bâtirons pas des politiques publiques en mesure de limiter drastiquement l’artificialisation des sols, la destruction de la biodiversité ou l’usage inconsidéré des ressources naturelles, sans une réflexion sur les transformations culturelles induites sur nos modes de vie, nos valeurs, nos représentations, nos imaginaires, nos mythes….»
L’édito du numéro spécial Technikart – Pour une culture des transitions, publié en février 2025, écrit par Raphaël Besson, directeur de Villes Innovations, chercheur associé au laboratoire PACTE, co-fondateur du Laboratoire d’usages Culture(s) Arts Société et auteur de l’ouvrage Pour une culture des transitions (Editions du LUCAS, 2024).
